Des réfugiés afghans en quête d'une identité indienne
Des réfugiés afghans en quête d'une identité indienne
NEW DELHI, Inde, 18 mai (UNHCR) - Agée de 21 ans, Jagjit Kaur a passé plus de la moitié de sa vie à New Delhi. Elle a l'air d'une Indienne, parle comme une Indienne et se comporte comme une Indienne. « Mes amis indiens sont stupéfaits d'apprendre que je suis afghane. Ils disent que c'est impossible », dit-elle.
Il y a 18 mois, après 12 ans passés dans la capitale, la jeune réfugiée et sa mère ont présenté une demande de naturalisation. « Je veux une identité », déclare-t-elle, en ajoutant que, sans carte d'identité, elle a l'impression de n'être de nulle part.
Jagjit fait partie du groupe de plus de 8 000 réfugiés afghans en Inde, de confession sikh ou hindoue, qui représente 88 pour cent de la population afghane réfugiée dans ce pays. Beaucoup d'entre eux sont parfaitement intégrés culturellement et socialement au mode de vie indien : la naturalisation est donc souvent la meilleure solution à long terme.
« Notre patrie est ici », déclare Ardet Singh, 50 ans. « A l'origine, nous étions Indiens. Nos ancêtres se sont rendus en Afghanistan pour y travailler, il y a des générations. Mais nous sommes Indiens. » Ardet vit en Inde depuis plus de 14 ans, avec sa femme, son fils et sa fille. Toute la famille a demandé la citoyenneté indienne, il y a deux ans, et attend toujours une réponse.
Plus de 3 000 réfugiés afghans ont exprimé le désir d'être naturalisés, mais la procédure est longue et complexe. Pour y avoir droit, un réfugié doit vivre en Inde depuis 12 ans ou être marié depuis sept ans à une personne de nationalité indienne. La durée du séjour doit être prouvée par un permis de résidence délivré par le gouvernement indien. Le partenaire opérationnel de l'UNHCR, le Centre d'information socio-légal (CISL), a aidé près de 1 600 réfugiés à présenter leur demande. D'autre part, la Société pour le bien-être Khalsa Diwan, une organisation non gouvernementale créée en 1998 par des Sikhs afghans pour aider les réfugiés, agit en tant que groupe de pression auprès de la Commission pour les minorités afin d'accélérer la procédure.
Le gouvernement indien a récemment décidé d'augmenter de façon considérable le montant des frais de la demande de naturalisation, le faisant passer de 2 100 roupies (l'équivalent de 49 dollars) à 15 000 roupies (347 dollars), ce qui représente un obstacle supplémentaire à la naturalisation. « Mes enfants ont grandi et sont allés à l'école ici. Notre culture est la même qu'en Inde », se lamente Tian Singh, 64 ans. « Mais les autorités ne font rien pour nous. Accordez-nous la nationalité à l'ancien tarif, nous sommes de pauvres gens. »
S'ajoute à cette augmentation des tarifs, la procédure elle-même, particulièrement longue, facteur de frustration décourageant plus d'un candidat. Le travail du CISL et le rôle de l'UNHCR pour faciliter la procédure de demande de naturalisation sont bien reconnus, mais la bureaucratie des autorités locales ralentit les démarches.
Le Ministère indien de l'intérieur ne voit pas d'objection à la naturalisation de réfugiés afghans sikhs ou hindous, mais le blocage se trouve généralement au niveau local. Dans le bureau d'un magistrat, dans l'ouest de Delhi, une mère et sa fille ont passé quatre heures à chercher leur dossier, avant qu'on ne leur ordonne de classer d'autres dossiers. « A quoi sert-il ? », demande Davindar Kaur, 25 ans, originaire de Kaboul, en désignant un membre du personnel.
Lorsque la demande de naturalisation a été présentée, le candidat n'a pas le droit de quitter le territoire indien avant la fin de la procédure. Dans certaines familles, les femmes ont fait la demande et les hommes non : ils conservent ainsi la possibilité de rentrer en Afghanistan. Le père de Davindar n'a pas demandé la naturalisation, les frères et le père de Jagjit non plus. Son père vit à Djalalabad et fait vivre sa famille avec ce qu'il gagne.
En général, peu de personnes désirent rentrer en Afghanistan. Les montagnes, le paysage, les fameux fruits secs et les rues de Kaboul manquent aux réfugiés, mais ils se sont acclimatés à la chaleur indienne, sa pollution et les foules qui fourmillent dans ce pays, chaud et poussiéreux. Même s'ils se raccrochent à des souvenirs de leur vie agréable dans les grandes maisons afghanes et leurs luxurieux jardins, les affres de leur fuite sont toujours bien présentes.
« Je me rappelle comment nous avons quitté Kaboul, en enjambant des cadavres. Je me souviens de notre magasin incendié. J'ai vu tant de souffrances », se remémore Prakash Kaur, 42 ans, qui vit en Inde avec ses deux filles depuis 1992.
« C'était horrible de vivre là-bas », ajoute Ardet Singh. « Les talibans nous ont dit : Donnez-nous de l'argent ou convertissez-vous à l'Islam. Nous avons toujours cette peur au ventre et n'y retournerons jamais. »
Davindar Kaur, arrivée en Inde à l'âge de 10 ans, est à présent mariée et mère d'une fille. Elle explique : « Pourquoi retournerais-je là-bas ? Il n'y a rien à voir en Afghanistan. L'Inde nous a permis de rester en sécurité et dans le confort. »
Pour beaucoup de réfugiés afghans, la naturalisation est une étape logique. La communauté des réfugiés vit en harmonie avec ses voisins, ils ont beaucoup en commun en termes de religion, de langue et de culture. « Nous nous sentons chez nous ici. Les gurudwaras (temples sikhs) nous procurent beaucoup de joie. Lorsque nous visitons Amritsar, nous nous sentons très heureux et en paix », déclare Ardet Singh, faisant allusion au Temple Doré du Pendjab, dans le nord de l'Inde.
« La plus belle chose en Inde, c'est la liberté de culte », déclare Tian Singh. « Ici, aucune religion n'est réprimée. C'est une vraie démocratie. Le seul problème, c'est la chaleur ! »
Jusqu'à présent, 10 dossiers seulement ont atteint la dernière phase de la procédure de naturalisation auprès du Ministère de l'intérieur. Et même lorsqu'un réfugié remplit tous les critères, il n'y a aucune garantie.
Pour beaucoup, devenir citoyen indien donne un sentiment d'appartenance et de prospérité économique. En tant que réfugiés, ils n'ont pas le droit d'exercer une activité lucrative en Inde, même si beaucoup d'entre eux survivent en travaillant au noir. En tant que citoyens, ils auront droit à des aides et des prêts du gouvernement pour lancer leur propre affaire. Entre autres avantages, ils recevront également des documents qui leur permettront de voyager.
Jagjit Kaur est impatiente de réaliser son rêve. « Je veux travailler dans un centre d'appels, mais mes parents ne veulent pas. » Il y a des milliers de jeunes femmes indiennes avec les mêmes rêves et les mêmes limites. En fin de compte, très peu, voire aucune différence, ne les sépare de Jagjit.
Par Nayana Bose, UNHCR à New Delhi