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Les familles déplacées de Kaboul prises au piège

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Les familles déplacées de Kaboul prises au piège

L'aide humanitaire est la seule bouée de sauvetage pour de nombreuses familles déplacées qui, plusieurs mois après avoir fui vers la capitale afghane, tentent de survivre à un hiver marqué par la montée en flèche du chômage et des coûts des denrées alimentaires.
16 Décembre 2021 Egalement disponible ici :
Mullah Ahmed et certains de ses enfants assis près du poêle dans leur logement temporaire à Kaboul.

Les enfants de Mullah Ahmed* regardent les flammes qui lèchent l'intérieur du petit poêle familial. L’atmosphère réchauffée de leur maison en briques de terre est un soulagement bienvenu face au froid qui règne à l'extérieur en cet hiver dans la capitale afghane.


Mais lorsqu'il retire une bouilloire noircie de la poêle, Mullah dégage une bouffée de fumées nocives. Il brûle des bandes de vieux tapis et d'autres déchets combustibles qu'il a trouvés dans les rues. « Qu'est-ce que je peux faire ? » lance-t-il. « On ne peut pas se payer du bois. »

Il s'agit là d’un récit familier d'adaptation pour survivre en Afghanistan. Mais pour Mullah, les options s'épuisent. Lui et sa famille élargie de 14 personnes font partie des quelque 700 000 personnes que le conflit a forcées à quitter leur foyer au cours de cette année. Si les combats ont désormais cessé, de nombreuses personnes déplacées à l'intérieur du pays sont confrontées à une crise potentiellement plus dévastatrice, causée par l'effondrement économique qui a suivi.

Le 3 décembre 2021, le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, a prévenu que 23 millions d'Afghans - soit 55 % de la population - sont désormais confrontés à des niveaux de famine extrêmes, près de 9 millions d'entre eux étant menacés de famine et la crise humanitaire « s'aggravant chaque jour ».

« Nous vivons de légumes et de pain bon marché. »

Certaines familles ont profité de la fin des combats et de l'aide au retour disponible par le biais du HCR pour rentrer dans leurs districts d'origine où elles luttent pour se procurer nourriture et carburant et pour réparer les maisons endommagées par la guerre. Mais ceux qui, comme Mohammad et sa famille, n'ont pas de maison où retourner et pas de travail, sont confrontés à des situations parmi les plus difficiles. L'aide humanitaire est leur seul espoir pour échapper à la spirale infernale de la dette et de la faim.

« Nous vivons de légumes et de pain bon marché », confie Farishta, 28 ans, alors qu'elle fait la queue dans un bâtiment de la banlieue est de Kaboul où le HCR distribue des allocations en espèces aux familles déplacées les plus vulnérables. « Nous n'avons pas mangé de viande depuis que nous sommes arrivés à Kaboul il y a quatre mois. »

Après la visite d'une équipe d'évaluation des Nations Unies dans la maison d'une pièce qu'elle partage avec sa fille Rehana âgée de 10 ans, son fils Aslam âgé de 11 ans et son frère Salim âgé de 20 ans, elle a été désignée pour recevoir deux allocations en espèces d'un montant total de 490 dollars. Cet argent l'aidera à payer le loyer de sa maison et les « frais de préparation à l’hiver », comme l'achat d'un poêle, de bois de chauffage, de couvertures et de vêtements supplémentaires. Pour Farishta, qui est veuve, cette aide est tombée à point nommé.

Elle craignait que son propriétaire ne les expulse, car elle n'avait pas été en mesure de payer le loyer au cours des trois derniers mois. Outre l'argent que Salim gagne de temps en temps grâce à des petits boulots, la famille a survécu en empruntant. « Nous achetons toute notre nourriture à crédit », explique Farishta.

Elle a l'intention d'utiliser les subventions en espèces pour rembourser toutes ses dettes, mais cela représente la moitié de l'argent et aucune autre aide n'est prévue dans un avenir immédiat. « J'aimerais pouvoir offrir un meilleur avenir à mes enfants, leur permettre de faire des études, mais nous sommes coincés », déplore-t-elle.

S'occuper de ses enfants n'est pas sa seule préoccupation. Farishta est originaire de la province de Takhar, au nord du pays, où Salim avait travaillé avec les forces américaines en tant que traducteur.  Cet été, alors que les talibans se rapprochaient de Takhar, Farishta, ses parents, ses frères et sœurs et ses enfants - une vingtaine de personnes en tout - ont décidé que leur seule option était de fuir le pays.

Ils se sont alors dirigés vers la province de Nimroz, dans le sud-ouest du pays, dans l'espoir d'entrer en contact avec les passeurs qui font passer les Afghans sans papiers en Iran via le Pakistan voisin. « Mais nous n'avions pas les moyens de payer le voyage pour toute la famille », relate Farishta. Ses parents et ses jeunes frères sont donc partis en Iran, tandis que Farishta et Salim se sont rendus à Kaboul. Sa famille en Iran est en difficulté. Ses frères ne parviennent à trouver que des emplois mal payés de balayeurs de rue. Afin de les aider et tout en essayant de s'occuper de ses enfants, Farishta a dû s’endetter encore plus pour leur envoyer de l'argent.

Le HCR fournit désormais une assistance en espèces à plus de 20 000 familles déplacées dans la région du centre, qui comprend Kaboul et les provinces environnantes. C'est dix fois plus que l'année dernière, selon Ahmad Sattar Faheem, associé principal chargé du rapatriement au bureau du HCR à Kaboul. Pour la plupart, les personnes déplacées vivent chez des proches ou sont dispersées dans des logements bon marché. Pendant quelques semaines après la chute de Kaboul, certains ont établi des camps temporaires dans la capitale, mais la plupart de ces personnes sont maintenant rentrées chez elles. Bien que la plupart de ceux qui restent disposent d'un abri temporaire, leurs conditions de vie sont généralement désastreuses.

Dans la maison de Mullah Ahmed, son fils de six ans, Assadullah, tousse en fixant brasier dans le poêle. Accroupie derrière la cheminée, sa fille aînée, Farzana, 20 ans, serre dans ses bras son fils de 6 mois, Umaid. La pièce est petite et les fumées sont épaisses, mais il n'y a pas de chauffage dans l'autre pièce de la maison, alors la famille s'y entasse. Sa fille de 3 ans, Aseela, pieds nus et vêtue de vêtements fins et en lambeaux, mâche un morceau de pain qu'elle a trouvé sur le sol.

Bien souvent, c'est tout ce que la famille a à manger, explique Mullah. « Je récupère du vieux pain à la boulangerie, puis nous le trempons dans l'eau pour le ramollir. » Il montre les restes d'une simple bouillie de riz dans un bol qu'ils ont gardé. Quand il a un peu d'argent, il achète quelques légumes.

Cela fait cinq mois que la famille est arrivée à Kaboul après avoir fui leur foyer dans la province orientale de Nangarhar. Ils y possédaient une petite ferme qui permettait de nourrir la famille élargie et de dégager un petit excédent chaque année. Mais les combats entre les anciennes forces gouvernementales afghanes et les talibans se sont étendus à la région et ont rendu l'agriculture impossible. Mullah a décidé que la seule option était de déménager à Kaboul. « Nous ne pensions pas que les talibans s'empareraient aussi de la capitale. »

C'était le dernier bouleversement en date dans une vie marquée par la lutte pour la survie pendant les décennies d'agitation politique de l'Afghanistan. Lui et sa famille ont été réfugiés au Pakistan voisin pendant près de 20 ans, et ne sont revenus en Afghanistan qu'en 2010. Il y a deux ans, son frère a été tué dans un attentat suicide après s'être rendu dans la ville de Ghazni, dans le sud du pays, pour chercher du travail. Mullah s'occupe désormais de sa veuve et de ses deux enfants.

Mullah Ahmed et son fils de cinq ans transportent du bois de chauffage vers leur maison temporaire à Kaboul. Il a pu acheter le combustible après avoir reçu une aide du HCR.

À Kaboul, Mullah a d'abord trouvé un emploi de porteur à la gare routière voisine, mais ce gagne-pain s’est vite révélé moins lucratif. « Avant, je gagnais 100 ou 150 afghanis (1,50 dollar) par jour en aidant les gens avec leurs bagages. Maintenant, j'ai de la chance si je peux gagner autant en une semaine ». Dans le même temps, le coût des produits de base comme la farine et le carburant augmente, tandis que la valeur de la monnaie afghane s'effondre.

Comme Haditha, il s'est procuré de la nourriture à crédit. Sauf que maintenant, les commerçants locaux ont cessé de le servir. Il estime qu'il leur doit encore au moins 35 000 afghanis (environ 350 dollars), une charge écrasante pour une famille qui n'a quasiment rien.

« Je me cache des commerçants quand je les vois », explique Mullah, l'air peiné.

Pour l'instant, la famille survit grâce à la charité et aux 265 dollars pour la préparation à l’hiver reçus du HCR. Le propriétaire de la maison dans laquelle ils vivent a fui devant l'avancée des talibans, demandant à son voisin de s'occuper de la petite propriété. Le voisin a eu pitié de Mullah et de sa famille et les a hébergés gratuitement. D'autres voisins leur donnent parfois du pain, mais nombre d'entre eux sont également en difficulté.

« Je suis très inquiet pour le reste de l'hiver », confie Mullah en regardant ses enfants pieds nus. « Si nous ne recevons pas plus d'aide, qu'Allah nous en préserve, nous devrons commencer à mendier. »

 

*Tous les noms ont été changés pour des raisons de protection.