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Les réfugiés ouzbeks attendent en Roumanie d'être réinstallés : « Du jour au lendemain, ma vie a basculé »

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Les réfugiés ouzbeks attendent en Roumanie d'être réinstallés : « Du jour au lendemain, ma vie a basculé »

La vie de centaines d'ouzbeks de la ville d'Andijan a brusquement changé en mai dernier, lorsqu'ils ont été contraints de fuir vers le Kirghizistan. Des 439 personnes transférées en Roumanie en juillet dernier dans l'attente d'une réinstallation dans un pays tiers, plus d'une centaine sont déjà parties rejoindre leur nouvelle demeure.
7 Février 2006
Des femmes réfugiées ouzbèkes préparent le repas au centre de réception de Timisoara, en Roumanie (photo brouillée pour protéger l'identité des personnes concernées).

TIMISOARA, Roumanie, 7 février (UNHCR) - Dans le centre de réception qui a abrité des centaines de réfugiés ouzbeks depuis leur arrivée en Roumanie l'été dernier, Islam, âgé de trois mois à peine, est plus connu sous le nom de « petit prince ».

La mère du petit garçon était enceinte de quatre mois lorsqu'elle a fui l'Ouzbékistan suite aux violents incidents survenus le 12 mai dans la ville d'Andijan. Pendant plus de deux mois, elle a attendu dans le Kirghizistan voisin avant d'être évacuée, avec 438 autres réfugiés ouzbeks, vers la Roumanie. Islam est né trois mois plus tard à Timisoara ; pour ce groupe très soudé qui a dû faire face à tant de bouleversements et d'incertitudes en l'espace de quelques mois, il est devenu un symbole de joie et d'espoir face aux turpitudes du destin.

Cheveux blancs, déjà âgé, Rahman essaye toujours de s'adapter aux changements dramatiques survenus dans son existence. Il s'occupait d'un magasin à Andijan et ne parvient toujours pas à croire ce qui s'est passé l'année dernière, en ce jour crucial du mois de mai.

« C'est fou ! » s'exclame-t-il. « Un matin, je suis allé au bazar pour mon travail et le lendemain, je me suis retrouvé dans un camp de réfugiés au Kirghizistan ! »

Il partait ouvrir sa boutique comme chaque matin, lorsqu' il a entendu dire que quelque chose d'inhabituel se passait sur la place centrale. Il a décidé d'y aller pour se rendre compte de la situation par lui-même. Lorsqu'il est arrivé sur la place, une large foule s'était déjà rassemblée. Peu après, les premiers tirs ont retenti. Rahman a couru pour sauver sa vie. Un nombre inconnu de personnes sont mortes au cours des violences qui ont suivi. Rahman et quelque 450 de ses compatriotes ont alors fui vers le Kirghizistan voisin.

Leur calvaire ne s'est pas arrêté là - le gouvernement ouzbek a exercé tellement de pressions sur les autorités kirghizes pour qu'elles renvoient de force ce groupe qu'il a finalement fallu évacuer les réfugiés vers un autre pays. Plusieurs Etats occidentaux ont aidé l'UNHCR au cours de cette opération. Des pays de réinstallation bien connus, tels que les Etats-Unis, le Canada et l'Australie, ainsi que des pays de l'Union européenne ont promis d'accepter ces réfugiés ouzbeks pour une réinstallation. Le gouvernement roumain leur a généreusement offert un hébergement temporaire dans le centre de réception de Timisoara jusqu'à la fin des procédures de réinstallation.

Au départ, le groupe ne devait rester sur place que pour une courte durée mais le processus de réinstallation nécessite un travail important et de longue haleine. La Roumanie a récemment prolongé de six mois les permis de résidence pour les réfugiés ouzbeks encore présents, de manière à ce que les pays de réinstallation puissent achever toutes leurs procédures administratives sans être pressés par le temps.

Peu à peu, les réfugiés sont réinstallés. Sur les 439 qui sont arrivés fin juillet, plus de 100 sont déjà partis vers leur nouvelle demeure. C'est le dernier jour de Rahman au centre - bientôt il sera aux Etats-Unis. Mais il ne peut cacher sa tristesse quand il pense à l'avenir. Sa femme, ses enfants et ses petits-enfants sont encore tous à Andijan.

« Ici ils me disent que je vais aller aux Etats-Unis », dit-il, « mais si j'avais le choix, je préfèrerais rentrer chez moi. »

L'atmosphère générale dans le camp est amicale, ouverte et accueillante. Tout le monde essaie de rester de bonne humeur et se montre aussi hospitalier que possible dans ces circonstances. Tous les invités sont conviés à se joindre au déjeuner et repartent avec des objets artisanaux ouzbeks et de bons souvenirs.

Le sens d'appartenance à la communauté est très fort dans la culture ouzbèke. Les réfugiés se réjouissent d'être toujours ensemble avant la réinstallation qui les amènera vers des lieux nouveaux et mettra, une fois de plus, à l'épreuve leur flexibilité et leur capacité d'adaptation.

A chaque fois qu'un groupe quitte le camp, tous les autres réfugiés se mettent en ligne dans la cour pour leur dire au revoir, même au milieu de la nuit par des températures bien en-dessous de zéro. Leur sentiment de solidarité dans ce groupe est si fort qu'ils ne laisseraient jamais personne partir sans de vrais adieux.

Pour ceux qui restent, la vie au centre de réception a pris un semblant de normalité. Les réfugiés n'ont pas perdu de temps à leur arrivée en juillet pour se répartir les lits et les chambres, construire une cuisine commune dans la cour et nommer des responsables pour le nettoyage des installations, pour la préparation de la nourriture, pour représenter le groupe dans les discussions avec la direction du camp et pour l'éducation des enfants.

Aujourd'hui, l'organisation des tâches est bien rôdée. Chacun des réfugiés connaît son rôle et les tâches à effectuer. Quelques femmes ont été assignées à couper et laver les légumes, alors qu'un groupe d'hommes fait la cuisine. Les professeurs font la classe pour les enfants sur des sujets variés comme les mathématiques, la géographie, l'ouzbek et le russe. Les femmes passent leur temps libre à coudre ou à fabriquer de merveilleuses broderies. Les hommes jouent aux échecs ou au tennis de table. Chacun à tour de rôle s'occupe du « petit prince ».

« C'est amusant de voir combien ces réfugiés sont positifs et coopérants et avec quelle gratitude ils acceptent notre aide. Ils sont prêts à apprendre et à s'adapter à une nouvelle situation, alors qu'il y a seulement quelques mois, rien ne leur laissait penser qu'ils pourraient devenir réfugiés », indique le chargé pour l'UNHCR de la réinstallation, qui est très occupé avec l'organisation du départ des réfugiés.

Tous les réfugiés suivent une formation d'orientation où ils apprennent à connaître leur futur pays. Ils s'intéressent à tout : A quoi ressemblent les maisons là-bas ? Nos enfants iront-ils à l'école ? Les femmes devront-elles travailler ? Les hivers sont-ils froids ?

Alors que les choses tournent bien pour ce groupe à Timisoara, l'agence pour les réfugiés reste préoccupée par le sort de quatre réfugiés ouzbeks qui restent en détention à Och, dans le sud du Kirghizistan. Ces quatre personnes sont arrivées au Kirghizistan avec le reste du groupe et, comme tous leurs compatriotes, ils ont été reconnus comme réfugiés relevant de la compétence de l'UNHCR. Ils ont été mis en détention en juin, à la suite d'une demande d'extradition des autorités ouzbèkes, et attendent toujours une décision sur leur sort.

Début janvier, l'UNHCR a appelé le gouvernement kirghize à ne renvoyer de force aucune de ces quatre personnes.

Selon le droit international, le retour forcé de réfugiés reconnus est une violation de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dont le Kirghizistan est signataire. Renvoyer des personnes dans des pays où ils risquent la torture va aussi à l'encontre de la législation internationale et de la Convention contre la torture. Il n'y a eu aucune enquête indépendante sur les événements d'Andijan.

(Les noms des réfugiés évoqués dans cet article sont fictifs)

Par Melita Sunjic à Timisoara