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Non, il n'y a pas d'application pour tout !

Non, il n'y a pas d'application pour tout !

Dans le contexte européen, de nombreuses applications ont été développées sans aucune interaction, ou presque, avec les réfugiés. Elles reposaient sur des idées préconçues des besoins en information et des habitudes de communication des réfugiés.
Mohammad El Khaldy, 36 ans, réfugié syrien et ancien chef à la télévision, retrouve sa mère pour la première fois en quatre ans.

Katie Drew, Responsable de l’innovation (Communiquer avec les communautés)

L’apogée du « Il y a une application pour ça »

En 2015, lors de la « crise » migratoire en Europe, nous avons vécu une augmentation très importante du nombre de personnes désirant se porter volontaires, certaines hautement qualifiées en développement de logiciels et d’applications. À cette époque, les réfugiés étaient confrontés à d’importants problèmes de communication et leur besoin d’informations claires, précises et traduites dans leur langue était indéniable. Pour tenter de répondre à ce problème, des volontaires ont utilisé leurs compétences afin de développer des applications de partage d’informations à l’intention des réfugiés. Ces applications n’étaient pas seulement conçues pour le partage d’information ; elles avaient aussi vocation à soutenir la recherche d’emploi, l’accès à la formation et à faciliter l’intégration. Ces applications se sont multipliées à travers tout le continent — certaines ayant fait grand bruit à leur lancement. Malheureusement, nombre d’entre elles n’ont pas réussi à convaincre les communautés de réfugiés et sont rapidement devenues obsolètes. Loin de moi l’idée de dévaloriser la motivation et l’engagement de milliers de volontaires qui ont participé à ces innovations en Europe. Cela étant, les « solutions technologiques » apportées à ces défis complexes ne sont pas parvenues à répondre aux enjeux importants en matière de communication.

Dans le contexte européen, de nombreuses applications ont été développées sans aucune interaction, ou presque, avec les réfugiés sur la base de besoins d’informations et d’habitudes de communication supposés. Développées dans une « bulle », plusieurs de ces applications ont reproduit des plateformes de communication déjà existantes et largement utilisées. Elles ne tenaient pas compte de questions complexes telles que la confiance des utilisateurs, la manière dont l’information (et les rumeurs) se répandaient, ni de la rapidité avec laquelle le contexte politique et de la protection évoluaient. En outre, elles faisent preuve d'une naïveté manifeste à l’égard de la protection des données et de la sensibilité politique liée au partage de certaines informations. Je me suis entretenue avec plusieurs développeurs découragés par leur accès limité aux informations dont ils avaient besoin pour leurs applications et qui m’ont également fait part de leurs frustrations concernant le manque de ressources pour le déploiement et les mises à jour. Prisonniers des structures de coordination humanitaire, les développeurs se sont trouvés paralysés par les contraintes de financement des agences. Pourtant, le battage médiatique n’a pas faibli, les hackathons n’ont pas cessé, et j’ai continué de recevoir de plus en plus d’appels que mes interlocuteurs entamaient par « Vous avez besoin d’une application pour... ». La prolifération des applications a atteint son apogée lorsqu’une personne a recommandé la création d’une application Facebook parallèle pour les réfugiés.

Tirons un enseignement de cette expérience : il n’y a pas d’application pour tout.

Est-ce que cela vaut la peine ?

Une chose est sûre : les applications de partage d’informations à l’intention des réfugiés ne me laissent pas indifférente ! Souhaitant toutefois remettre mes opinions en question, j’ai effectué une « recherche rapide » dans le Google Play Store. Après avoir utilisé les termes de recherche « informations pour les réfugiés », j’ai procédé à un bref examen du contexte et des paramètres relatifs aux cinq premières recherches pertinentes (examen effectué la deuxième semaine d’octobre 2018). Certes, ce procédé n’est pas sans faille (par exemple, les résultats obtenus ne sont pas les mêmes en fonction de la langue dans laquelle on effectue la recherche). Je ne m’en sers qu’à valeur d’exemple et ne prétends pas qu’il soit scientifique. Soyez indulgents...

Mon objectif était de trouver, pour chaque application, une date de mise à jour, le numéro de version et le nombre d’installations. La mise à jour la plus récente concernait une application passée en version 3.0.1 et avait été effectuée sept semaines auparavant. Les quatre autres applications étaient toutes en version 1.0 ; la plus ancienne datait de juillet 2017, une autre avait été lancée sept mois auparavant et les deux dernières existaient depuis au moins cinq mois. L’une des applications comptabilisait plus de 1 000 téléchargements, trois autres affichaient plus de 500 téléchargements chacune, tandis que la dernière ne totalisait que 5 téléchargements. Qu’est-ce que j’essaie d’illustrer en disant cela ?

Une information utile est une information accessible. Ces applications contiennent peut-être de nombreuses informations, elles sont peut-être bien conçues, mais très peu de personnes les ont téléchargées et il y a fort à parier qu’elles sont encore moins nombreuses à les utiliser. Google Play Store propose plus de 3 millions d’applications : mais rien ne garantit que l’application que vous avez développée sera utilisée. Loin de là. Aucune règle ne définit le temps nécessaire à la création d’une application, ni son coût. Les possibilités sont infinies. Je ne suis pas développeuse de logiciels, mais je sais que la création d’une application de partage d’informations n’est pas un processus « rapide ».

On ne peut sous-estimer la complexité de la coordination des multiples parties prenantes, de la gestion des flux d’informations et de la réalisation des tests auprès des utilisateurs. De même, on aurait tort de croire que le lancement de l’application dans Google Play Store marque la fin du procédé de création. En effet, quelqu’un doit s’assurer que les informations restent à jour et qu’elles se synchronisent correctement avec l’application. Vous pourriez découvrir des anomalies et des corrections pourraient être nécessaires. Demandez-vous s’il est rentable de développer et de mettre en service une application téléchargée par seulement cinq personnes. Comment optimiser l’utilisation de ces ressources de façon à obtenir la participation des utilisateurs finaux au projet ? Comment mettre ce temps à profit pour partager plus fréquemment et plus largement des informations pertinentes, actualisées et accessibles ?

Alors, faut-il renoncer aux applications ?

Non, il pourrait bien y avoir une application pour cela. Une application peut apporter la solution à un problème qui a été clairement identifié avec les utilisateurs finaux ; une solution que vous aurez mise au point grâce à l’expérimentation, le recueil de commentaires, l’itération et le recueil d’autres commentaires encore. Une solution qui n’a pas été proposée spontanément et qui n’a pas non plus été conçue simplement parce que « tout le monde a une application ». Parallèlement, il importe de tenir compte des ressources nécessaires au développement d’une application. Les applications ne sont pas des solutions rapides. Vous disposez des capacités nécessaires — un membre du personnel, un volontaire, une entreprise — pour développer une application ? Tant mieux, mais ne considérez pas cela comme un exercice de codage ponctuel. Pensez donc aux ressources dont vous aurez besoin pour déboguer votre application et la mettre à jour. Vous ne voulez pas prendre le risque de créer une version 1.0 qui dépérit et qui reste inutilisée dans Google Play Store.

Ceci ne constitue en rien un manuel technique sur le développement d’applications ; ce serait une terrible erreur que de me confier la rédaction d’un tel ouvrage ! Néanmoins, ayant travaillé sur plusieurs opérations pour lesquelles des applications ont été développées, notamment l’application Salaam en Israël, j’estime que l’approche suivante, qui consiste à Communiquer avec les communautés, peut orienter la réflexion.

Vous souhaitez créer une application ? Commencez par prendre en compte ces observations et ces recommandations :

  1. Ne vous précipitez pas à la recherche d’une solution, identifiez d’abord le défi à relever. Impliquez la communauté avec laquelle vous souhaitez établir un dialogue : est-ce que vous comprenez bien le problème d’information et de communication que vous cherchez à résoudre ? Il existe plusieurs outils qui vous aideront à mieux le cerner, comme par exemple une évaluation des besoins en matière d’information et de communication. Vous pourrez ainsi définir quels sont les défis spécifiques et qui ils affectent.
  2. Trouvez des idées avec la communauté. Appuyez-vous sur les moyens de communication privilégiés par la communauté. En travaillant avec la communauté, vous pourrez recueillir des idées susceptibles d’améliorer ces moyens de communication afin de combler les lacunes identifiées ; en particulier, des idées susceptibles d’étendre ces moyens aux groupes les moins bien informés. Il est inutile de créer un Facebook pour les réfugiés s’ils utilisent déjà Facebook.
  3. Faites appel aux capacités locales. Contactez des journalistes, des musiciens, des acteurs, des développeurs d’applications, des organisations communautaires, des groupes Facebook, des groupes de filles sur WhatsApp... Tout ce que vous trouverez !
  4. Choisissez une idée et lancez-vous, mais n’allez pas trop loin. Testez-là et apprenez de votre expérience. Lors de vos expérimentations, échangez avec autant de personnes que possible, et posez-vous la question : êtes-vous en train de répondre au défi d’information et de communication que vous avez identifié ?
  5. Continuez d’expérimenter, encore et encore. Observez comment fonctionne votre solution et tirez-en des enseignements. Poursuivez vos recherches sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas, avant de passer à l’étape suivante.
  6. Variez et testez vos moyens de communication. Aucune communauté n’est homogène. Il n’y a pas de « solution miracle » ou de « meilleur moyen de communication ». Chacun a sa propre façon d’accéder à l’information et de la consommer : nous sommes tous uniques. C’est pourquoi il est essentiel de disposer de plusieurs moyens de communication. En effet, moins les canaux de communication sont nombreux au sein d’une communauté, plus le risque d’exclure des groupes ou des personnes est grand.

Pour en savoir plus sur ces approches, veuillez consulter le microsite « Communiquer avec les communautés » de l’Unité Innovation du HCR.

Nous sommes toujours à la recherche de témoignages, d’idées et d’opinions sur les innovations qui sont menées par des réfugiés ou qui ont un impact sur eux. Si vous souhaitez nous faire part des vôtres, envoyez-nous un courrier électronique à [adresse électronique protégée].

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Initialement publié sur www.unhcr.org le 12 octobre 2018.

L’Unité Innovation du HCR met en œuvre de nouvelles approches et méthodologies afin de répondre aux besoins humanitaires croissants d’aujourd’hui et, plus important encore, de demain.