CHAPITRE 3 :

Éduquer les réfugiés est l’affaire de tous

Emerance (à gauche), réfugiée burundaise âgée de 16 ans, , est la capitaine d’une équipe féminine de football dans le camp de Lusenda, en République démocratique du Congo. Le HCR, en partenariat avec Radio France Internationale, fournit du matériel aux joueurs réfugiés. © HCR/Colin Delfosse

Des décennies d’expérience ont appris au HCR que le moyen le plus efficace d’assurer que les enfants réfugiés aillent et restent à l’école, consiste à les inclure dans le système scolaire local. Cela nécessite un soutien et une collaboration au niveau national et local. Lorsqu’un enfant réfugié entre dans une école locale, il s’agit souvent d’un premier pas pour que la communauté l’accueille en son sein.

Les partenariats à la fois locaux et internationaux sont cruciaux pour la mission du HCR visant à lever les obstacles à l’éducation de millions d’enfants réfugiés. Le HCR fait partie d’une vaste communauté d’organisations qui s’efforce de défendre les droits des réfugiés et des personnes déplacées, et l’un des nombreux organismes qui soutiennent et protègent les enfants menacés. Malgré ces efforts, le nombre de réfugiés non scolarisés continue d’augmenter à un rythme alarmant, soulignant le besoin de nouvelles solutions et de nouveaux partenaires pour relever ce défi.

L’investissement dans l’enseignement primaire a procuré un essor des possibilités en matière d’éducation. Mais il a également créé un besoin et une demande d’accès au collège et aux cycles supérieurs – une demande qui n’est pas satisfaite. Plus les réfugiés avancent dans leur parcours éducatif, plus il leur est difficile de rester à l’école. La priorité doit désormais être de permettre aux réfugiés de poursuivre et de compléter leurs études, du premier jour du primaire jusqu’à ce qu’ils reçoivent leurs diplômes.

© HCR/Antoine Tardy

Okello Mark Oyat avait 25 ans lorsqu’il est arrivé comme réfugié d’Ouganda, au camp de réfugiés de Dadaab au Kenya. Trente ans plus tard, il a obtenu un baccalauréat en études sociales de l’Université de York, au Canada, dans le cadre du programme d’enseignement à distance Borderless Higher Education for Refugees. Maintenant, il a obtenu une bourse pour un programme de master à York et aide d’autres réfugiés à postuler à des programmes d’éducation en ligne

Que ce soit dans les camps de réfugiés ou dans les environnements urbains et ruraux, il est nécessaire d’avoir un développement rapide des écoles ainsi que la possibilité d’avoir de la flexibilité dans l’éducation. Contrairement aux idées reçues sur qui sont les réfugiés et où ils vivent, seuls 30 pour cent d’entre eux vivent dans des camps. La majorité se trouve dans des villages, ou des villes, grandes et moyennes, dans des habitations privées ou des camps informels. Dans ces environnements où l’infrastructure éducative est déjà débordée, soutenir les établissements d’enseignement profite non seulement à un grand nombre de réfugiés, mais aussi aux populations locales dans ces pays. Cela fait une différence de manière durable pour les communautés d’accueil et améliore les relations avec les réfugiés.

Si l’arrivée de réfugiés est synonyme de gains durables, grâce à un plus grand nombre d’écoles et de personnel enseignant, cela signifie que leur présence devient un avantage et non une contrainte. Néanmoins, le grand nombre de réfugiés dans certains pays présente des défis qui dépassent largement les capacités du gouvernement d’accueil. Pour faire en sorte que les réfugiés et leurs communautés d’accueil aient un avenir stable et durable, il faut mobiliser le secteur privé, de concert avec la communauté internationale ainsi que les acteurs de développement et humanitaires.

© HCR/Antoine Tardy

« L’éducation est le fondement de tout et préserve la dignité. »

Yvonne Meritina Umutesi, 28 ans, a fui le Rwanda pour le Sénégal quand elle était petite fille. Une bourse DAFI lui a permis de compléter un diplôme en santé, sécurité et environnement et elle est maintenant manager dans une entreprise de construction privée à Dakar.

La vision de la Déclaration de New York et du Pacte mondial sur les réfugiés qui plaident pour la participation de la société toute entière ouvrent la voie vers le futur.

Afin d’améliorer la qualité de l’éducation et de développer les possibilités de formation dans l’est de l’Afrique et la Corne de l’Afrique, huit pays se sont réunis pour signer la Déclaration de Djibouti en décembre 2017, et se sont engagés à inclure tous les enfants réfugiés et rapatriés ainsi que les jeunes, dans les plans d’éducation nationaux d’ici 2020. En appui à ces importants efforts déployés par les pays hôtes, la communauté internationale, y compris les acteurs humanitaires, les acteurs de développement et le secteur privé, doivent s’engager pour assurer un avenir stable et durable aux réfugiés et aux communautés qui les accueillent.

Le partenariat entre le HCR et Educate A Child (EAC), un programme mondial de la fondation Education Above All (EAA), rassemble des organisations aussi disparates que l’UNESCO, Qatar Airways, et les loteries postales néerlandaise et suédoise, dans le but d’aider les enfants, y compris les réfugiés, en construisant et rénovant des écoles, en recrutant et formant des enseignants, en fournissant du matériel didactique et des uniformes et en prenant des mesures pour lever les obstacles auxquels ils font face pour recevoir une éducation de qualité. Le nombre d’enfants réfugiés précédemment non scolarisés, et qui sont maintenant inscrits à l’école primaire par le biais de l’EAC a dépassé un million à la rentrée scolaire d’août 2018. Sans ce programme, le taux d’inscription des enfants réfugiés à l’école primaire aurait complètement chuté, affectant les espoirs et les perspectives de toute une génération d’enfants. Grâce au soutien de EAC, les inscriptions à l’école primaire entre 2015 et 2017 au Soudan du Sud ont augmenté de 160 pour cent dans les écoles visées. Au cours de la même période, elles ont augmenté de 109 pour cent à Kakuma, au Kenya ; de 80 pour cent dans les camps de Dadaab au Kenya ; de 56 pour cent au Rwanda ; et de 43 pour cent en Malaisie.

ÉTUDE DE CAS

Récit de deux sœurs

Une chance sur un million pour cette jeune Ethiopienne mais sa sœur aînée est obligée de faire des sacrifices.

Rihanna Siraj, réfugiée éthiopienne âgée de 15 ans, fréquente l’école du camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya. Elle compte parmi des millions d’étudiants réfugiés non-scolarisés qui vont maintenant à l’école primaire grâce au soutien du programme Educate A Child (Éduquer Un Enfant). © HCR/Anthony Karumba

Rihanna Siraj lève les yeux de son bureau pour suivre ce que son professeur écrit au tableau. Elle est l’image même de la concentration, énonçant à voix basse quelques lignes avant d’écrire dans son cahier d’exercices. Il y a beaucoup d’élèves, dans une salle de classe étouffante : Rihanna a tout de même pu s’asseoir à l’avant pour mieux entendre son professeur de science, la matière préférée de Rihanna. « J’aime la science parce que je veux être médecin », dit-elle.

Rihanna, une réfugiée éthiopienne âgée de 15 ans, est l’une des milliers d’élèves du camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord du Kenya. À l’âge de neuf ans, Rihanna et sa sœur cadette Ikra ont été séparées de leurs parents pendant le voyage de leur famille qui échappait à la violence et aux persécutions.

Kakuma, c’est l’endroit où elles ont commencé une nouvelle vie, prises en charge par leur sœur aînée, Fauzia, qui était arrivée un an avant elles. Les filles n’ont aucune idée si leurs parents sont encore en vie.

Rihanna fait partie du million d’enfants réfugiés non scolarisés dans le monde. Grâce à Educate A Child (EAC), un programme mondial de Education Above All Foundation, réunissant des acteurs du secteur privé, des fondations, des organisations non gouvernementales et des agences des Nations Unies pour que les enfants non-scolarisés puissent aller à l’école primaire, Rihanna a été inscrite à l’école primaire en dépit d’en avoir dépassé l’âge. Le programme aide à la formation des enseignants, aux infrastructures et à l’équipement scolaire, à l’implémentation de moyens novateurs pour s’assurer que les enfants aient la possibilité d’aller à l’école. Il contribue aussi à fournir du matériel d’enseignement et d’apprentissage.

Kenya : Récit de deux sœurs

Rihanna apprécie le sacrifice de sa sœur d’autant plus que l’école lui offre une protection contre ce à quoi une fille peut s’attendre : la culture du mariage précoce, de la maternité, et une vie où s’occuper du foyer familial et des membres plus jeunes peut prendre le pas sur l’école. « Je pense que ma sœur me protège de ces problèmes parce que certaines filles se marient plus tôt », dit-elle.

Et elle promet de rendre Fauzia fière d’elle.

« Quand elle nous voit aller à l’école, c’est comme si elle y allait. »

Des partenariats forts ont montré comment les entreprises peuvent combiner leur expertise pour le bien de la communauté des réfugiés. Voir Gucci, Microsoft et Western Union s’unir pour un objectif commun pourrait sembler peu probable, et pourtant, la Coalition Mondiale des Entreprises pour l’Éducation l’a fait en rassemblant les entreprises, la société civile, les experts en éducation et les législateurs dans le but de faciliter la réalisation de projets communs, où chaque partie apporte ses propres compétences, atouts et expériences.

Même s’il n’y a pas de frais de scolarité à payer, le coût des uniformes, des livres et des fournitures constitue souvent un obstacle insurmontable qui éloigne les enfants des bancs de l’école. Depuis 2015, le partenariat du HCR avec la Fondation H&M, une organisation à but non lucratif financée par les fondateurs et les propriétaires de l’entreprise de mode H&M, a permis à environ 500 000 enfants scolarisés à l’école primaire ou secondaire de bénéficier de manuels et de fournitures scolaires, d’uniformes et de mini bureaux portatifs (lapdesks) dans 12 pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient.

© HCR/A. Shahzad

« Je veux être enseignante quand je serai grande. »

Shihnaz, réfugiée afghane âgée de 9 ans, fréquente l’école primaire du village de réfugiés de Khazana, à Peshawar, au Pakistan. Le ‘lapdesk’ (ou mini-bureau portatif) qu’elle a reçu de la Fondation H&M, dans le cadre du programme Educate A Child, compense le manque de bureaux dans une salle de classe bondée.

La transformation de Dollo Ado

Scolariser un enfant demande beaucoup plus que la simple construction d’écoles. En 2012, dans la région de Dollo Ado, en Éthiopie, près de la frontière somalienne, le HCR a lancé un programme ambitieux visant à améliorer la vie de tous, que ce soit de la communauté hôte ou de chaque réfugié homme, femme et enfant ayant fui. L’éducation était au centre de cette stratégie. À l’époque, le système éducatif était en piteux état, avec seulement 18 pour cent des enfants scolarisés.

Cela a été rendu possible grâce à un partenariat avec la Fondation IKEA, développé sur plusieurs années et unique en son genre. Le financement de la Fondation IKEA a permis au HCR de lancer des programmes de micro-financement pour les réfugiés. Un projet d’irrigation a permis aux réfugiés et à leurs communautés hôtes de cultiver des terres auparavant arides. À mesure que leurs revenus augmentaient, les parents étaient moins susceptibles de retirer leurs enfants de l’école pour les faire travailler. Pendant ce temps, un projet pour fournir de l’électricité dans la région a apporté de multiples avantages. Les rues sont maintenant éclairées. Les hôpitaux et les centres de santé ont obtenu des réfrigérateurs pour les médicaments. Des ordinateurs et tablettes ont aidé les enseignants à améliorer l’environnement d’apprentissage grâce à des leçons sur Internet et à des méthodes d’enseignement plus interactives.

© HCR/Diana Diaz

« Je suis très fière d’elle pour sa force et pour m’avoir apporté son soutien toute ma vie. »

Bishar Yusuf (à droite), réfugié somalien de 14 ans, est fier de sa mère, Axada Muhamed Muhumed (à gauche), qui a gagné de l’argent sur le marché local, lui permettant ainsi qu’à ses frères et sœurs d’aller à l’école au camp de réfugiés de Melkadida, en Éthiopie. La Fondation IKEA a amélioré l’accès à l’éducation pour les réfugiés ainsi qu’à des moyens de subsistance, dans toute la région de Dollo Ado, en Éthiopie.

Pendant ce temps, l’investissement dans l’enseignement primaire se traduit en un nombre de salles de classe qui a quadruplé, passant à plus de 400, dont de nombreuses fonctionnant sur deux périodes. Le résultat : à la fin de l’année scolaire 2017, plus de 47 000 enfants réfugiés étaient à l’école. C’est plus du double par rapport à 2012.

L’inscription dans les écoles secondaires reste un défi, avec un taux d’inscription de six pour cent seulement. Pour cette prochaine année scolaire, les 32 classes de secondaire disponibles seront complètement bondées avec plus de 70 élèves par classe. Cela dépasse largement la recommandation au niveau mondiale de 40 étudiants par classe. Seize nouvelles salles de classe sont nécessaires, mais le financement reste un point d’interrogation.

La place n’est pas le seul défi. Comme de plus en plus d’enfants réussissent à terminer l’école primaire, il n’y a pas assez d’enseignants qualifiés pour le secondaire. Une école de formation d’enseignants à Dollo Ado a ouvert ses portes début 2018, les premiers diplômés étant attendus en 2020. Plus de 200 étudiants éthiopiens et 23 étudiants réfugiés font partie de la première cohorte de futurs professeurs.

La pauvreté reste le principal obstacle à l’éducation pour cette population de réfugiés somaliens et pour la plupart des réfugiés dans le monde. Au cours des deux dernières années, les réductions successives de l’aide alimentaire se sont accompagnées d’une augmentation de l’absentéisme et de l’abandon scolaire, les enfants réfugiés ayant dû travailler pour contribuer aux revenus de la famille.

ÉTUDE DE CAS

« La clé du monde »

Le centre de formation des enseignants vise à répondre à l’énorme demande des jeunes apprenants

Yousouf Isak Ibrahim, réfugié somalien âgé de 26 ans, lève la main au centre de formation des enseignants de Dollo Ado, en Éthiopie. Il y étudie pour devenir professeur d’anglais. © HCR/Diana Diaz

Yusuf Isak Ibrahim et sa famille ont fui les combats en Somalie en 2011, trouvant refuge au-delà de la frontière dans les camps de réfugiés de Dollo Ado. Recevoir une éducation semblait alors être une idée inaccessible.

Comme beaucoup de jeunes en Somalie, Yousouf n’avait pas été autorisé à aller à l’école à l’adolescence. « Il y avait une guerre et Al-Shabaab [le mouvement islamiste extrémiste] était là. Ils ont dit que personne ne devait aller à l’école, que personne ne devait enseigner. Ils ont tout décidé dans nos vies », raconte-t-il.

À Dollo Ado, ses chances ne semblaient pas bien meilleures. À son arrivée, il y avait deux écoles primaires, une école secondaire et un total de 240 enseignants pour presque 100 000 jeunes réfugiés comme lui.

Aujourd’hui âgé de 26 ans, Yousouf est l’un des 265 jeunes adultes qui apprennent à devenir enseignants au centre de formation des enseignants de Dollo Ado. Il y a dix ans, si vous lui aviez dit, ce qu’il allait devenir, dit-il, il ne l’aurait jamais cru.

« Une fois, j’ai entendu dire que les enseignants étaient la clé du monde. C’est pour ça que quand j’étais petit, je voulais déjà devenir professeur. »

Éthiopie : Le centre de formation des enseignants donne l’espoir aux enseignants réfugiés somaliens

À Dollo Ado, il existe actuellement 70 écoles et centres d’apprentissage avec plus de 750 enseignants. Le gouvernement éthiopien s’est engagé à intégrer les réfugiés dans son système éducatif national, ainsi qu’à étendre les possibilités de rejoindre le cycle tertiaire. Yousouf a bénéficié de ces deux engagements.

Aujourd’hui, 53 pour cent des enfants réfugiés dans la région sont scolarisés – ce qui n’est pas encore suffisant, mais constitue une amélioration de taille par rapport à la situation il y a quelques années.

Le nouveau centre de formation, mis en place avec le soutien financier de la Fondation IKEA, pourrait complètement changer la donne en assurant un approvisionnement constant en enseignants.

Le centre est le seul du genre dans un rayon de 500 kilomètres. Il a ouvert ses portes en novembre 2017 pour former à la fois les réfugiés et les membres de la communauté locale qui souhaitent faire une différence dans la vie des enfants de Dollo Ado et des zones environnantes.

« Les réfugiés [fuient] leur pays sans rien emporter avec eux, et ici ils ont la possibilité de changer de vie, d’être employés, d’être scolarisés », partage Fadumo Osman Nour, un Ethiopien de 19 ans et l’un des camarades de classe de Yousouf.

« Et le plus important c’est qu’en apprenant ensemble nous pouvons tous contribuer à nos communautés. L’éducation est la clé de la vie et je crois que grâce à l’éducation, nous pouvons tous nous intégrer. »

Dans quelques années, Yousouf, qui étudie pour devenir professeur d’anglais, fera partie de la première promotion de diplômés du centre. Au début, ils travailleront dans les écoles des camps de réfugiés, mais s’ils obtiennent les permis de travail nécessaires, ils espèrent se disperser et enseigner à travers cette région densément peuplée,

« Si vous êtes instruit, vous pouvez prendre votre vie en main, vous pouvez trouver un emploi et subvenir aux besoins de votre famille », explique Yousouf. « Et ça compte pour tout le monde, les hommes comme les femmes. »