Message

de l’Emissaire du HCR, Angelina Jolie

L’Emissaire du HCR, Angelina Jolie, visite Mossoul, la deuxième ville d’Irak, en juin 2018. Elle a rencontré des familles qui ont survécu à des années de terreur et de déplacement et sont maintenant en train de rentrer, déterminées à reconstruire leurs maisons et à ramener leurs enfants à l’école. © HCR/Andrew McConnell

Les familles réfugiées endurent des formes innombrables de détresse mentale et physique, y compris la souffrance de ne pas pouvoir nourrir leurs enfants quand ils ont faim ou de ne pas pouvoir leur procurer des médicaments quand ils sont malades ou blessés. Mais j’ai vu aussi combien cela pèse sur les parents réfugiés quand ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école sachant que chaque année, leurs perspectives de vie diminuent et leur vulnérabilité augmente.

Dans un rapport publié aujourd’hui, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés a prévenu qu’un nombre croissant d’enfants réfugiés n’étaient pas scolarisés. Même si les conséquences sont graves, notre réponse ne devrait pas céder au désespoir, mais plutôt d’y voir une opportunité.

La crise mondiale des réfugiés est l’un des défis majeurs auquel notre génération doit faire face. Mais la tâche n’est pas désespérée. Les réfugiés eux-mêmes n’attendent pas passivement de l’aide, mais cherchent activement des façons de prendre part au relèvement de leur pays. L’éducation est une clef pour les aider à y arriver.

Les vies contrastées de deux jeunes filles syriennes que j’ai rencontrées m’ont fait réaliser cela de manière saisissante. La première des deux est une jeune fille qui est arrivée au Liban avec ses cinq frères et sœurs quand elle avait 11 ans. Sa mère avait été tuée dans une frappe aérienne, et les enfants avaient été séparés de leur père. Il n’y avait pas de parents pour mettre de la nourriture sur la table, donc cette petite passait ses journées à collecter des déchets pour les vendre contre de minuscules sommes d’argent, et à s’éreinter à chercher de l’eau, cuisiner et nettoyer pour que ses frères et sœurs puissent aller à l’école. Elle avait dû mettre de côté son rêve de devenir médecin, et à 14 ans, elle s’est mariée et est devenue mère. Aujourd’hui, elle ne sait toujours pas lire et écrire. Même si la guerre s’arrêtait demain, elle a été privée de son enfance et d’avenir.

La deuxième jeune fille syrienne à laquelle je pense quand j’écris cela, a fui de la Syrie vers l’Irak, avec sa famille, quand elle avait 16 ans. Leur vie dans le camp était extrêmement difficile, mais elle a pu s’inscrire dans une école locale. Le ministère de l’éducation irakien n’a pas reconnu son baccalauréat syrien, alors elle a refait sa dernière année de lycée. Elle fait maintenant des études pour devenir dentiste dans une université irakienne, alors qu’elle vit dans un camp de réfugiés avec sa famille. Lorsque je l’ai rencontrée ainsi que sa famille cet été, elle m’a dit que dès qu’elle le pourrait, elle retournerait dans son pays natal pour aider à le reconstruire, en disant : « La Syrie a besoin de ses jeunes ».

Nous décrivons souvent les réfugiés comme une masse unique de personnes et un fardeau. Nous ne voyons pas la mosaïque complexe des hommes, des femmes et des enfants ayant des parcours de vie divers et un potentiel humain immense.

Il y a des millions de jeunes réfugiés qui ont l’énergie et le désir d’étudier et de travailler, qui veulent contribuer aux sociétés qui les accueillent et, en fin de compte, aider à reconstruire leur pays d’origine. Il y a des millions de parents déplacés qui feront tous les sacrifices possibles et imaginables pour aider leurs enfants à aller à l’école.

Angelina Jolie, Emissaire du HCR, rencontre Hassan et ses enfants – de gauche à droite, Muthana (8 ans), Sara (6 ans), et Sora (10 ans) – une famille irakienne auparavant déplacée interne qui est retournée à l’ouest de Mossoul, en Irak. Angelina Jolie regarde le bulletin de Sora, qui est en tête de classe. © HCR/Andrew McConnell

Je me souviens d’un père que j’ai rencontré à Mossoul-Ouest, qui avait traversé trois ans de domination brutale de l’État islamique puis la libération violente de la ville. Bien qu’ils n’aient pas quitté l’Irak et soient classés parmi les personnes déplacées à l’intérieur du pays plutôt que comme des réfugiés, ils n’ont pu que récemment retourner dans leur ville. Debout près de leur ancienne maison criblée de balles, il a dû retenu ses larmes, des larmes de fierté, en me montrant les bulletins scolaires de ses deux jeunes filles qui avaient maintenant recommencé l’école.

En fin de compte, je pense que ce qui importe, c’est la manière dont on reconstruit un pays : pas avec des accords de paix et des résolutions, aussi nécessaires qu’ils puissent être, mais avec des millions de bulletins scolaires, des examens réussis, des qualifications, et de jeunes vies dirigées vers le bien commun plutôt que dépensées à se languir dans les camps. Personne ne rêve d’être un réfugié, ils rêvent de vivre pour atteindre leur potentiel. Ils aspirent à s’améliorer et faire progresser leurs familles. C’est quelque chose que nous comprenons tous d’instinct. Nous faisons l’expérience du pouvoir de l’éducation dans nos propres familles.

C’est une tragédie que de ne pas avoir l’opportunité d’éduquer un enfant. De nos jours, de nombreuses guerres durent plus longtemps que la période d’une enfance, et cela peut signifier qu’un pays perd toute une génération de scolarisation et d’apprentissage de compétences parmi ses jeunes.

À l’inverse, investir dans l’éducation des réfugiés est le moyen le plus efficace de les aider à devenir autonomes et à contribuer à la stabilité future des pays déchirés par les conflits. Le HCR lance un appel pour que les enfants réfugiés aient accès à un programme d’études approprié tout au long du primaire et du secondaire afin qu’ils puissent obtenir des diplômes reconnus et avoir une chance de poursuivre leurs études. Nous faisons une demande pour que davantage de soutien soit apporté aux pays des régions en développement, qui accueillent 92% des réfugiés en âge scolaire dans le monde, afin qu’un plus grand nombre d’enfants réfugiés puissent être inclus dans les systèmes éducatifs nationaux. Et nous exhortons les pays les plus riches à remédier aux déficits humanitaires afin que les parents réfugiés ne soient plus obligés de choisir entre nourrir et scolariser leurs enfants.

Il ne se passe presque pas un jour sans gros titres sur la violence, la souffrance et le déplacement de personnes, de l’Afghanistan au Yémen. Il est difficile de trouver un exemple de réussite en tant que communauté internationale pour mettre fin aux conflits et assurer la paix. Le résultat peut parfois être une sensation écrasante d’un monde déséquilibré, dans lequel même nos meilleurs efforts ne sont pas à la hauteur.

Pourtant, la réponse n’est pas de se sentir désespéré ou de se détourner du problème, mais d’œuvrer patiemment et sur le long terme, guidés par nos valeurs, afin de lutter petit à petit face à ce qui semble être des problèmes insolubles. Si nous aidons les réfugiés à être scolarisés, ils s’acquitteront eux-mêmes de la tâche la plus difficile de reconstruire les pays dont la paix et la sécurité future sont si importantes pour notre propre paix. C’est une ligne de conduite non seulement sage mais aussi moralement juste.