Lafia Ouwar Jiki : des femmes transforment le déplacement en un mouvement de solidarité à Diffa, Niger
Lafia Ouwar Jiki : des femmes transforment le déplacement en un mouvement de solidarité à Diffa, Niger
Ousseina, une femme déplacée de Djalori, au Niger, est assise avec les membres d'un groupe de femmes qu'elle a aidé à créer à Awaridi, un village situé dans la région de Diffa, au sud-est du Niger.
Sur la véranda ombragée d’un entrepôt à Awaridi, un site d’accueil dans la ville de Diffa, au sud-est du Niger près de la frontière nigériane, un groupe de femmes est assis côte à côte sur des nattes tressées. Le soleil de fin de matinée les entoure alors qu’elles se préparent à animer une séance de sensibilisation sur les violences faites aux femmes et aux filles, l’une des nombreuses qu’elles ont organisées elles-mêmes.
« Quand nous sommes arrivées ici, nous avions tout perdu. Aujourd’hui, nous prenons soin les unes des autres comme personne d’autre ne le ferait », confie Ousseina Manzo, 51 ans, avec une voix douce et un regard serein, empreints de calme, de confiance et de chaleur.
En 2019, Ousseina a fui les violences à Djalori, dans la commune de Gueskerou (région de Diffa), avec ses enfants, et a trouvé refuge à Awaridi, un site qui accueille aujourd’hui plus de 28 000 réfugiés nigérians, personnes déplacées internes et retournées, tous déracinés par les attaques de groupes armés non étatiques.
Déterminée à reconstruire sa vie, elle a pris l’initiative de lancer une tontine, un groupe d’épargne solidaire où les femmes du site ont commencé à mettre en commun leurs ressources pour s’entraider.
« Après tout ce que nous avons perdu, je ne pouvais pas rester là à attendre qu’on vienne m’aider », explique Ousseina. « Je devais subvenir aux besoins de mes enfants, mais je ne pouvais pas le faire seule. Je me suis dit que si nous nous aidions mutuellement, ce serait plus facile. »
Ce qui avait commencé comme un simple système d’épargne est rapidement devenu une force puissante de solidarité, de soutien mutuel et de transformation sociale au sein de la communauté déplacée. En tant que présidente de Lafia Ouwar Jiki, une expression haoussa qui signifie approximativement « bien-être du corps », Ousseina dirige aujourd’hui un réseau réunissant femmes déplacées, réfugiées, retournées et issues des communautés hôtes. Elles ont formé 21 groupes d’épargne autogérés qui ont permis à environ 400 femmes et filles de lancer de petites activités génératrices de revenus, comme des stands de beignets ou la production d’huile d’arachide.
« Beaucoup d’entre nous dans le réseau ne reçoivent plus d’aide humanitaire », explique Mamie Mahamadou, une réfugiée nigériane assise à côté d’Ousseina, avec un sourire chaleureux et assuré. « Mais grâce aux petites entreprises et aux autres activités que nous menons, nous nous en sortons. »
En 2024, l’association a reçu un soutien financier et technique du partenaire du HCR, COOPI, dans le cadre des efforts visant à prévenir et atténuer les risques de violences faites aux femmes et aux filles, et à renforcer l’autonomie. Avec l’encadrement du service départemental de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant de Diffa, 50 femmes ont été formées pour animer des séances de sensibilisation et travailler avec leurs communautés, non seulement pour identifier et réduire les risques de violences, mais aussi pour accompagner les survivantes de manière bienveillante et informée. Avec une autre association de femmes réfugiées à Sayam Forage, un camp situé à environ une heure d’Awaridi, elles ont sensibilisé 2 000 personnes à travers des séances, dialogues communautaires et soutiens aux survivantes.
Les récentes coupes budgétaires rendent difficile la reconduction de ces activités en 2025. Malgré cela, les femmes d’Awaridi continuent d’organiser des séances de sensibilisation, incluant courageusement les hommes et les jeunes dans des discussions de groupe sur des sujets sensibles comme le mariage précoce et les violences domestiques.
« Quand une femme a besoin d’aide, nous n’attendons pas que quelqu’un d’autre agisse », affirme Mamie.
« Si une survivante a besoin d’une aide urgente, nous mobilisons nos économies. Nous l’accompagnons si une médiation avec un conjoint ou un parent est nécessaire. Nous faisons appel à des partenaires seulement lorsque nos moyens sont dépassés », ajoute Ousseina.
Leur engagement est d’autant plus crucial dans un contexte où les violences faites aux femmes et aux filles restent une préoccupation majeure parmi les personnes déplacées de force. Rien que durant les trois premiers mois de 2025, 25 cas de violences ont été signalés parmi les populations déplacées au Niger, incluant viols, agressions sexuelles, violences physiques, mariages précoces et privation d’accès aux ressources.
« Ces femmes étaient déjà des moteurs de changement dans leur communauté avant même de recevoir un soutien extérieur. Ce qui est vraiment extraordinaire, c’est qu’elles ont su maintenir et même renforcer leur impact après la fin de ce soutien », souligne Dupe Wundu, chargée de protection associée du HCR à Diffa.
« Leur leadership et leur solidarité sont devenus la colonne vertébrale de la communauté. Nous voulons tirer des leçons de leur expérience et reproduire ce succès ailleurs, mais pour cela, nous avons urgemment besoin de ressources pour renforcer les acquis et préserver d’autres réseaux de protection communautaire aujourd’hui menacés. »
Malgré tout, les femmes d’Awaridi choisissent le vivre ensemble. Elles célèbrent ensemble les baptêmes, les mariages et partagent les deuils. Mamie raconte fièrement que sa fille est désormais mariée au fils d’Ousseina, l’un des nombreux mariages entre réfugiés et Nigériens à Awaridi, un signe discret mais fort d’une communauté qui se rapproche.
Alors que les femmes sur la véranda se préparent à se répartir pour les séances de sensibilisation porte-à-porte de la journée, Ousseina réfléchit à l’impact du groupe dans leur communauté.
« En toutes mes années de femme engagée, je n’ai jamais vu un groupe apporter autant d’espoir que Lafia Ouwar Jiki. Grâce à notre entraide et au soutien des organisations, notamment pour l’autonomisation économique, les femmes vulnérables ici recommencent à croire en elles. »