Ruud Lubbers prévient que la votation du 24 novembre sur le droit d'asile pourrait entraîner un rejet pur et simple des réfugiés
Ruud Lubbers prévient que la votation du 24 novembre sur le droit d'asile pourrait entraîner un rejet pur et simple des réfugiés
Genève, le 5 novembre 2002
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Ruud Lubbers, s'inquiète de l'initiative « Contre les abus dans le droit d'asile » présentée par l'Union Démocratique du Centre (UDC), qui sera soumise à votation le 24 novembre prochain. Elle pourrait, si elle est adoptée, faire du système d'asile suisse l'un des plus restrictifs du monde industrialisé, sur la simple base d'une campagne jugée « trompeuse » par un autre responsable de l'UNHCR.
Parmi les éléments clés de cette initiative figure l'établissement d'une liste de pays supposés « sûrs » - qui a priori pourrait comprendre tous les voisins de la Suisse - pour ensuite sommairement rejeter tout requérant d'asile qui aurait transité par l'un de ces pays. Un autre aspect de cette proposition stipule que l'assistance dévolue aux requérants d'asile qui demeurent en Suisse serait réduite au plus strict minimum.
« Si le peuple suisse vote « oui » à cette initiative, cela voudra dire qu'effectivement tout réfugié arrivant par voie terrestre en Suisse sera d'emblée rejeté, quel que soit le bien-fondé de sa demande d'asile » souligne Ruud Lubbers. « Comme la vaste majorité des réfugiés arrive en Suisse par la route, nous aurons là un pays, la Suisse, qui aura plus ou moins complètement fermé ses portes aux personnes fuyant la persécution, même des gens qui ont vécu ou été témoins d'atrocités, de massacres ou de tortures. »
Raymond Hall, haut responsable de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, dont le siège social est implanté à Genève depuis 1951, souligne qu'une telle pratique reviendrait à effectivement imputer aux pays voisins la responsabilité de déterminer l'authenticité d'une demande d'asile, sans aucune garantie préalable que ces pays seraient prêts à coopérer.
Selon M. Hall, directeur du Bureau Europe à l'UNHCR, les voisins de la Suisse, qui sont eux-mêmes confrontés à des afflux variables de requérants d'asile, sont tout simplement peu susceptibles d'accepter une action tant radicale qu'unilatérale de la part de la Suisse. « Sur des bases aussi peu saines, l'initiative risque de créer plus de problèmes qu'elle n'en résoudra » affirme-t-il.
L'UNHCR reconnaît qu'un certain nombre de personnes tentent d'abuser du système d'asile comme un moyen d'accéder au marché du travail en Suisse - un problème qui se retrouve dans d'autres pays d'Europe occidentale - et soutient les efforts sérieux entrepris pour réduire de tels abus, à condition que ceux-ci ne compromettent pas l'accès à la protection pour les réfugiés sincères et authentiques qui, chaque année, frappent aux portes de la Suisse.
Selon l'UNHCR, la procédure DUO lancée en août dernier par le gouvernement suisse fait partie de ces efforts qui méritent d'être soutenus. Les autorités dans les centres de réception suisses devraient être capables, dans le cadre de cette procédure DUO, d'identifier rapidement ceux parmi les requérants d'asile dont la demande est de toute évidence abusive ou sans fondement et ce, dans les quinze jours suivant leur arrivée en Suisse, sans sacrifier le droit fondamental d'un individu à requérir l'asile et voir son dossier étudié. Cependant, si le peuple suisse répond « oui » à la votation du 24 novembre, la procédure DUO deviendra automatiquement caduque avant même qu'une chance lui ait été donnée de fonctionner.
« Selon les principes fondateurs du HCR, refuser d'entendre une demande d'asile sur la simple base du fait qu'ils sont arrivés par voie terrestre est inacceptable » déclare M. Lubbers. « Aucun autre pays européen n'est encore allé aussi loin. Je serais particulièrement attristé si la Suisse, avec sa longue et forte tradition humanitaire, devait se transformer en l'un des pays d'Europe les moins accueillants pour les réfugiés. »
L'initiative avance aussi, comme recommandation, que les requérants d'asile qui sont toujours en Suisse, y compris, apparemment, ceux dont le retour ne serait pas accepté par les pays voisins, n'aient pas accès au marché du travail et reçoivent le strict minimum en terme de logement et de ration alimentaire. Selon l'UNHCR, ce type de mesures est en contradiction avec le but affiché de réduire la criminalité parmi les requérants d'asile, forçant au contraire les réfugiés et leur famille - en particulier ceux qui n'ont pas été acceptés dans un autre système d'asile mais ne peuvent toujours pas déposer de demande en Suisse - à devoir survivre avec une subvention minimaliste tandis que leur statut légal souffre d'enlisement.
L'UNHCR critique également le ton et le contenu de la campagne en faveur de l'initiative.
« On demande au peuple suisse de voter sur la base d'une campagne trompeuse » estime Raymond Hall. « L'initiative est présentée comme une façon révolutionnaire d'aborder et de lutter contre la criminalité et le trafic de drogue en réprimant sérieusement l'accès en Suisse et à la procédure d'asile. »
« La campagne pour le « oui » tente de créer l'impression que la plupart des requérants d'asile se présentant en Suisse abusent délibérément du système » précise-t-il. « Elle joue aussi sur la forte suggestion qu'une grande partie de ces requérants est impliquée dans la criminalité, ce qui est grandement exagéré. »
« Toute personne impliquée dans le trafic de drogue doit être arrêtée et poursuivie, qu'elle soit originaire de Bâle ou du Libéria. Mais c'est une affaire qui est du ressort de la loi criminelle, pas de la loi d'asile. »
Le gouvernement a proposé des modifications restrictives du droit d'asile qui ont été soumises au parlement. Le projet de loi contient malgré tout un certain nombre de garanties minimales pour protéger les réfugiés, tout en faisant disparaître quelques-unes des occasions d'abus du système. « L'initiative du 24 novembre ne propose aucune garantie » affirme Raymond Hall.
« L'initiative est adroitement présentée » affirme M. Hall. « En surface, si l'on ne connaît rien des conséquences probables sur les individus et les relations que la Suisse entretient avec ses voisins, elle peut paraître assez raisonnable. Mais au fond, elle ne l'est pas. L'initiative et la campagne qui l'accompagne identifient les problèmes mais ne proposent pas de moyens réalistes de les résoudre. En outre, elle s'inscrit clairement à contre-courant de l'esprit du droit international, constituant par là-même une menace à tous les efforts en cours, en Europe et ailleurs, pour harmoniser et améliorer les systèmes d'asile, autant pour le bénéfice des réfugiés que pour celui des Etats qui les accueillent. »