Guerre en Ukraine – Témoignages

"Mon corps est en sécurité, mais mon âme est blessée"

Textes: Vincent Bürgy et

Valeria Kalyamina

 

11 mai 2022

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Un père fait ses adieux à sa famille à la gare routière de Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, le 12 mars 2022, alors qu'elle part se mettre en sécurité. Les familles, principalement des femmes et des enfants, se dirigent vers des régions plus sûres de l'Ukraine ou traversent la frontière vers les pays voisins. © UNHCR/Valerio Muscella

“Mon corps est en sécurité, mais mon âme est blessée”

Textes: Vincent Bürgy et

Valeria Kalyamina

26 avril 2022

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Un père fait ses adieux à sa famille à la gare routière de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, le 12 mars 2022, alors qu’elle part se mettre en sécurité. Les familles, principalement des femmes et des enfants, se dirigent vers des régions plus sûres de l’Ukraine ou traversent la frontière vers les pays voisins. © UNHCR/Valerio Muscella

Des millions de personnes en fuite

Les combats se poursuivent en Ukraine, en avril et en mai. En plus des plus de 5 millions de personnes qui ont dû fuir, environ 13 millions de personnes sont affectées dans les zones les plus durement touchées par la guerre en Ukraine et ont besoin d’une aide humanitaire et de protection.

Alors que la situation continue de se détériorer, le rythme et l’ampleur des déplacements internes et de l’exode des réfugiés depuis l’Ukraine, ainsi que les besoins humanitaires qui en découlent, ne cessent d’augmenter.

Presque 50’000 personnes fuyant cette guerre ont déjà trouvé refuge en Suisse. Un élan de solidarité actuel sans précédent, mais qui ne doit pas faire oublier les autres crises toujours en cours dans le monde.

©UNHCR/Ariadne Kypriadi
©UNHCR/Ariadne Kypriadi

Le HCR a déclaré une situation d’urgence de niveau 3 pour la crise en Ukraine – c’est le niveau le plus élevé dont nous disposons.

Compte tenu de l’évolution rapide de la crise humanitaire en Ukraine, le HCR collabore avec les autorités, les agences du système des Nations Unies, les groupes communautaires de déplacés internes et d’autres partenaires pour fournir une assistance humanitaire partout où cela est nécessaire et possible.

Nous sommes présents sur le terrain en Ukraine, et nous resterons sur place pour aider les personnes qui ont besoin de nous, tant que cela sera nécessaire.

Avertissement: Les frontières et les noms utilisés sur cette carte n’impliquent pas une approbation ou une acceptation officielle par les Nations Unies.

La guerre en Ukraine en trois chiffres

Le nombre de personnes ayant fui l'Ukraine

Source: HCR
10 mai 2022

Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine

Source: HCR
10 mai 2022

Le nombre de personnes restées en Ukraine et affectées par la guerre

Source: HCR
10 mai 2022

Darya

“La façon dont nous avons été accueillis a été comme une bouffée d’air frais.”

— Réfugiée ukrainienne arrivée en Suisse

Comment allez-vous?

En Ukraine, cette question est devenue un signe de grande préoccupation, d’amour et d’attention. Depuis le 24 février, chaque matin, nous commençons par poser cette question à tous nos parents, amis et voisins. C’est devenu notre routine matinale ce dernier mois. Comme un check-up, pour s’assurer que tout le monde est sain et sauf, que tout le monde a passé la nuit… Même maintenant que je suis en Suisse, je continue à suivre ce rituel car trop de personnes proches sont restées en Ukraine. Mon père est là-bas, ma filleule est là-bas, mes amis les plus proches sont là-bas. Une partie de mon cœur est encore dans mon pays. Merci de m’avoir demandé, cela signifie beaucoup pour moi! Ici, en Suisse, mon corps est en sécurité, mais mon âme est blessée.

Comment s’est passée votre arrivée en Suisse?

L’arrivée a été difficile car nous sommes arrivés ici après un voyage de neuf jours en voiture. Par “nous”, je veux dire ma mère, mon chat, mon oiseau et moi. Nous étions épuisées, épuisées, épuisées émotionnellement. Mais la façon dont nous avons été accueillis a été comme une bouffée d’air frais. Nous avons été accueillis à bras ouverts. Chaque fois que je rencontre un Suisse qui apprend que je viens d’Ukraine, je me fais immédiatement dire: “Comment puis-je vous aider ?”. Le plus remarquable, c’est que tout au long de notre séjour ici, nous avons été traités avec le plus grand respect, une préoccupation sincère et une profonde sympathie. Cette attitude envers l’autre et sa personnalité est ce que j’ai toujours admiré chez les Suisses. C’est inestimable!

Qu’est-ce que cela signifie de tout laisser derrière soi?

Cela signifie que lorsque je ferme les yeux, je me vois me promener dans le centre historique de ma chère ville de Kharkiv. Cependant, en une seconde, je consulte les actualités relatives à ma ville avec des photos du centre historique détruit après une nouvelle attaque aérienne… Cela signifie que lorsque je communique avec mes étudiants, je nous revois assis dans la salle de classe qui est maintenant détruite après un autre bombardement… Cela signifie que lorsque je remplis un questionnaire officiel et que j’indique mon adresse ukrainienne, je crains que cette adresse a pas été rayée de la carte…

Quels sont vos souhaits pour l’avenir?

Au quatrième jour de la guerre, j’ai appris qu’un de mes anciens étudiants est mort en protégeant notre ville, en protégeant notre pays dans une unité de défense régionale. C’était un traducteur talentueux, un musicien de rock, il avait 23 ans… C’est pourquoi je veux simplement que les gens restent en vie: mes parents et mes amis, mes collègues et mes voisins, les enfants qui jouent près de ma maison, tous ceux que je connais et celles que je ne connais pas, je veux que tout le monde reste en vie.
Je ne peux pas imaginer que quelqu’un à ma place puisse souhaiter autre chose que ceci. C’est tout ce que je veux, c’est tout ce dont je rêve, c’est tout ce dont j’ai besoin, si désespérément besoin!

 

©UNHCR/Ariadne Kypriadi
©UNHCR/Ariadne Kypriadi
©UNHCR/Ariadne Kypriadi

Michelle

“Pour mon mari et moi, il a donc été immédiatement clair que nous aiderions si nous le pouvions.”

— Volontaire suisse

Quel impact a cette guerre sur votre vie?

Le thème de la guerre est omniprésent en ce moment. Il est difficile de détourner le regard et de penser que cela ne nous concerne pas. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à gérer cette situation, on se sent tout simplement impuissant.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager?

Je pense que nous avons une certaine responsabilité. Ces gens ont dû quitter leur maison d’un moment à l’autre, abandonner toute leur vie, laisser derrière eux des membres de leur famille. Beaucoup arrivent ici sans rien d’autre qu’un petit sac à dos. Pour mon mari et moi, il a donc été immédiatement clair que nous aiderions si nous le pouvions. Nous vivons avec nos deux enfants dans une petite maison et nous n’avons pas beaucoup de place. La chambre d’amis est petite et la salle de bain doit être partagée. Néanmoins, nous sommes prêts à sortir de notre zone de confort et à offrir à une famille la possibilité de se reposer dans un endroit sûr et d’être intégrée dans la vie familiale.

Avez-vous des conseils à donner pour d’autres personnes voulant s’engager?

Pour l’instant, je ne peux pas en dire beaucoup plus. La famille ukrainienne arrivera chez nous samedi prochain, les préparatifs sont en cours. Mais j’ai déjà parlé avec de nombreux amis qui ont déjà franchi le pas. L’effort en vaut la peine. Il n’y a pas de prix pour voir comment les gens s’épanouissent à nouveau, rient et oublient un instant ce qu’ils ont vécu.

Avez-vous un souhait pour le futur?

Pour l’avenir proche, je souhaite que les réfugiés arrivent ici en toute sécurité et, surtout, qu’ils s’y sentent bien. À plus long terme, j’espère que cette guerre inutile cessera enfin et que les gens pourront retourner dans leur pays d’origine, retrouver leur ancienne maison, leur ancienne vie.

“Il s’agit de la crise des réfugiés qui connaît la croissance la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.”

–Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

©UNHCR/Ariadne Kypriadi

Larysa

“Mon cœur et mon âme sont avec ceux qui sont en Ukraine.”

— Réfugiée ukrainienne arrivée en Suisse

Comment allez-vous?

Nous sommes le 26 mars et je vais bien. Mon cœur et mon âme sont avec ceux qui sont en Ukraine. Je suis très inquiète pour tous ceux qui sont restés et chaque matin je prends des nouvelles de mes amis au téléphone ou sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi je comprends qu’un soutien psychologique sera nécessaire pour moi et pour tout le monde, après cet épisode de stress.

Comment s’est passée votre arrivée en Suisse?
Mon voyage jusqu’en Suisse a duré sept jour. Je suis passée par la Moldavie, la Roumanie et la Hongrie. C’était difficile. Il y avait beaucoup de familles ukrainiennes partout. Ils partaient avec des enfants, des animaux. Ils voyageaien en voiture, en bus, ou traversaieent la frontière à pied. La traversée de la frontière entre la Moldavie et la Roumanie a pris plus de cinq heures. Nous étions très fatigués. Immédiatement après avoir passé la frontière, on nous a proposé de nous arrêter dans un camp de réfugiés pour nous reposer. La passage de la frontière entre la Roumanie et la Hongrie a encore duré sept heures. C’était très dur.
Le voyage en train vers la Suisse a été le plus long, mais le plus facile. Je suis reconnaissante aux bénévoles qui, à toutes les frontières, nous ont soutenus, nous ont donné de la nourriture et nous ont permis de nous arrêter pour un court moment.
Je suis reconnaissante au gouvernement suisse, qui nous accueille ici et nous fournit un logement. Je suis très reconnaissant à la famille suisse qui m’accueille.

Qu’est-ce que cela signifie de tout laisser derrière soi?
Je n’ai plus de maison. Au sens littéral du terme. Ma maison était à Kharkiv. Environ mille bâtiments ont été endommagés dans la ville. Dans ces moments-là, on comprend surtout les vraies valeurs – la vie, la liberté, la dignité. Ce sont les choses les plus importantes à garder.
Est-ce effrayant de commencer une nouvelle vie dans un pays étranger en partant de zéro? Oui, c’est effrayant, très effrayant. Je prends cela comme une opportunité et un défi.

Quels sont vos souhaits pour l’avenir?

J’ai écrit sur ma page Facebook que les Ukrainiens et les Ukrainiennes se sont éparpillés dans le monde comme un pissenlit. Nous nous sommes retrouvés dans différents pays et même sur différents continents. Nous avons peint le monde en jaune et en bleu, les couleurs de notre drapeau. Maintenant, le monde entier est l’Ukraine. Et cela dépend de chacun de nous pour savoir quel genre de monde verra l’Ukraine.
Je veux vraiment qu’on nous voie comme des gens reconnaissants, créatifs, innovateurs, avec un cœur et un esprit ouverts, honnêtes, sincères. Nous ne devons pas devenir un problème pour le pays qui nous accueille. Nous pouvons créer de nouvelles entreprises, des idées créatives, de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités.
Aujourd’hui, nous avons besoin d’un soutien – des cours de langue, l’aide d’un avocat, un soutien financier ou des conditions favorables pour ouvrir un commerce ou travailler en indépendant. Nous pourrons travailler, payer des impôts et être utiles à la Suisse.

 

©UNHCR/Ariadne Kypriadi
©UNHCR/Ariadne Kypriadi

Abdelwahab

“J’ai vécu la guerre dans mon pays et c’était très dur.”

— Réfugié syrien vivant en Suisse

Quel est l’impact de cette guerre sur votre vie ?

On dit qu’il y a des choses qui ne peuvent arriver qu’une seule fois dans une vie, comme la naissance et la mort. Un homme naît une fois et meurt une fois. C’est ce que nous disons. Mais ceux qui vivent la guerre dans leur pays savent que ce proverbe n’est pas tout à fait vrai. La guerre est une mort quotidienne. Si une personne dans un pays en guerre ne meurt pas d’une balle, il mourra petit à petit, lentement et progressivement. Chaque jour, elle peut sentir qu’une partie d’elle est morte.

Cette partie pourrait être la famille (père, mère, frère ou sœur). Cette partie pourrait être un ami ou une amie. Cette partie pourrait être l’école que l’on a fréquentée ou la ville dans laquelle on a grandi après qu’elles aient été détruites pendant la guerre. Cette partie pourrait être le passé, les souvenirs et cette partie pourrait être l’avenir pour de nombreuses personnes.

J’ai vécu la guerre dans mon pays et c’était très grave. Malheureusement, cette guerre se répète maintenant non loin de là. Il y a des idiots qui ne savent pas ou ne veulent pas savoir qu’il n’y a pas de vainqueur dans une guerre. Tout le monde est perdant. Personnellement, je suis devenu plus fort. Il y a un proverbe qui parle des situations difficiles et des forces ou des faiblesses des gens: ce qui ne te tue pas te rend plus fort.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager ?

Parce que j’ai moi-même vécu les difficultés et que quelqu’un m’a aidé à l’époque et qu’il est maintenant temps que je transmette cette aide à d’autres personnes. La vie est ainsi faite, prendre et donner.

Avez-vous des conseils à donner aux autres personne réfugiées qui souhaitent s’engager ?

Souvenez-vous de l’époque où vous êtes arrivés ici, à quel point c’était difficile pour vous. C’est tout aussi difficile pour les nouveaux réfugiés. Ils ont besoin de soutien.

Avez-vous un souhait pour l’avenir ?

Je souhaite plus de solidarité pour les réfugiés et je souhaite que tous les réfugiés puissent avoir les mêmes chances dans cette nouvelle vie.

Elena

“Mon souhait est de pouvoir célébrer le jour de l’indépendance de l’Ukraine le 24 août 2022 avec ma famille et mes amis.”

— Professeure à l’Université de Bâle d’origine ukrainienne

Comment vivez-vous la situation actuelle?

Depuis le début de la guerre, je vis dans deux mondes parallèles. Presque tous les membres de ma famille et de nombreuses personnes qui me sont proches se trouvent en Ukraine. Je suis en contact permanent avec eux et je constate chaque jour la brutalité et la destruction. Leur situation sur place, dans l’incertitude totale quant à l’évolution de celle-ci, est insupportable. L’impuissance à aider directement les gens en Ukraine me pèse énormément. Mais il y a déjà plusieurs millions de personnes en fuite qui ont besoin de notre aide et c’est pour elles que je peux m’engager ici, en Suisse.

Comment vous engagez-vous?

Je m’engage à titre privé et professionnel pour le soutien et l’intégration des personnes qui ont fui leur pays.

J’ai accueilli des réfugiés dans mon appartement et j’aide également des familles avec des enfants handicapés à s’enregistrer officiellement et à s’installer dans leur nouveau quotidien en Suisse. Avec mes collègues suisses, nous avons créé un réseau local “Imagine. Ukraine in Bern” pour les personnes d’Ukraine et de Suisse – c’est-à-dire pour les personnes qui ont besoin de soutien et pour celles qui en proposent. Lors de la première rencontre dans la vieille ville de Berne, plus de 100 personnes sont venues et les échanges ont été très animés.

En tant que professeur de sciences de l’éducation, je suis cofondatrice d’un réseau international “Science in Action”, qui relie des collègues spécialistes des sciences de l’éducation ou de la formation et de la pratique pédagogique. Le réseau a pour but de rassembler des mesures et des documents pour l’intégration et le soutien psychosocial des enfants et des enseignants réfugiés dans les pays d’accueil et de transmettre un soutien aux groupes cibles sur place. Actuellement, nous élaborons à l’Institut des sciences de l’éducation de l’Université de Bâle – en coopération avec la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) et le HCR Suisse – une brochure “École, formation et formation continue en Suisse” destinée aux familles ayant fui l’Ukraine.

Avez-vous un conseil à donner à d’autres personnes dans cette situation ?

Il est difficile de donner un conseil général, car tant les besoins des personnes qui ont fui que les possibilités d’offrir de l’aide varient considérablement selon les personnes sur place et dans le pays d’accueil. Se mettre en réseau, chercher un conseil et une aide professionnelle – que ce soit par voie numérique à l’aide d’outils de traduction en ligne ou par des contacts personnels – afin d’avoir accès le plus rapidement possible aux informations et aux offres importantes, sont des étapes essentielles.

Pour tous ceux qui ont de la famille ou des proches en Ukraine, je souhaite avant tout de la confiance et beaucoup de force !

Avez-vous un souhait pour l’avenir ?

Oui, j’en ai un: pouvoir célébrer le 24 août 2022 la fête de l’indépendance de l’Ukraine avec ma famille et mes amis à Kyiv, dans un pays libre avec un gouvernement démocratiquement élu !

©UNHCR/Ariadne Kypriadi

Lors d’une récente visite en Ukraine, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, s’est dit “profondément impressionné par le leadership humanitaire et la réponse du gouvernement à tous les niveaux dans le pays, ainsi que par l’altruisme et la résilience du peuple ukrainien, qui accueille des millions de ses compatriotes déplacés.”

Filippo Grandi a également réitéré l’engagement du HCR à rester et à répondre aux besoins de la population ukrainienne, que ce soit dans les pays voisins et à l’intérieur de leur pays.